Les Variations Goldberg
Des oeuvres spécifiquement pour clavecin
Il peut sembler étrange qu’un quintette de cuivres s’empare d’une oeuvre de Bach, qui plus est des Variations Goldberg. En effet, cas relativement exceptionnel dans l’oeuvre du compositeur, l’instrumentation des Variations Goldberg est très précise: «pour clavecin à deux claviers», indique Bach dans le titre original de l’oeuvre.
Au moins deux éléments permettent d’expliquer cette précision inhabituelle. Le premier est supposé plus qu’établi: Bach a peut-être donné cette indication pour assurer au comte de Keyserlingk que ses variations, certes difficiles, peuvent être jouées sur un tel instrument. S’il est peu probable que cette composition ait été commandée par le comte, nous savons en revanche qu’une copie de l’oeuvre initialement nommée Aria avec différentes variations lui a été envoyée par le compositeur. Keyserlingk, souffrant d’insomnie, s’était adjoint les services d’un élève de Bach, le jeune Johann Gottlieb Goldberg, quinze ans, à qui il demandait de jouer du clavecin pour rendre plus supportables ses nuits blanches. C’est à la suite de cet envoi, qui vaudra à Bach un généreux remerciement, que l’oeuvre prendra le nom de Variations Goldberg.
Mais le Cantor de Leipzig avait au moins une autre raison d’indiquer « pour clavecin à deux claviers ». Vers 1740, au moment d’écrire ces variations, il se sait au sommet de son art: depuis 1731, il s’est enfin lancé dans l’édition de certaines de ses oeuvres sous le nom de Clavier-Übung. Les Variations Goldberg constituent la quatrième et dernière partie de ce recueil d’oeuvres pour clavier que Bach a enrichi durant dix ans, et dans lequel il a réuni ce qu’il avait de meilleur. Dans ces circonstances, il est essentiel pour lui d’écrire pour clavecin, et c’est la difficulté des oeuvres qui rend important l’usage de deux claviers dans certaines variations.
…jouées par un quintette de cuivres!
Non seulement Bach s’est soucié d’écrire une oeuvre pour clavecin à deux claviers et en a adapté le contenu aux possibilités de l’instrument, mais en plus il n’a jamais écrit une seule partition pour quintette de cuivres, et pour cause: à son époque, la facture instrumentale ne le permettait pas.
Cela peut donc paraître sacrilège de jouer les Variations Goldberg avec un quintette de cuivres. Mais ce serait oublier que, dans la majorité des oeuvres de Bach, l’instrument est avant tout un moyen de transmettre le contenu véritable de sa musique: un enchevêtrement de mélodies qui, mises les unes au-dessus des autres, forment un tout harmonieux, régi aussi bien par des considérations esthétiques que par des jeux et défis mathématiques. Le nombre de musiciens ou le timbre avec lequel ces mélodies sont jouées pour devenir audibles sont secondaires, pour autant qu’ils permettent d’entendre toutes les voix qui composent le tissu sonore.
Un quintette de cuivres virtuose peut donc s’emparer de ce chef-d’oeuvre avec l’assurance de pouvoir rendre compte de son immense diversité, et d’en faire entendre toutes les subtilités d’écriture: chaque voix ressort avec clarté, faisant émerger les jeux de canon, les genres évoqués (aria, invention, ouverture, etc.) et l’étendue du paysage émotionnel parcouru. Mais le quintette de cuivres offre également à cette oeuvre une incarnation particulière, avec son timbre plein, et cette possibilité donnée à l’auditeur de voir, en plus de les entendre, les dialogues passionnants qui s’engagent entre les différentes voix.
Sassoun Arapian, pour HorsPortée
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